JUSTIN ET VINCENT
Allongé dans la boue des tranchées, sur le front de la Meuse, Justin n'arrivait pas à fermer l'oeil. Des chiffres résonnaient dans sa tête, il ne comptait pas les moutons mais le nombre de ses compagnons tombés, le jour même, au combat. Les nombres teintaient comme le glas de l'église du village qui l'avait vu naître puis grandir. Il essayait de se boucher les oreilles avec ses mains calleuses, rien n'y faisait, tout n'était que fracas.
Il leva son regard vers le ciel cherchant un coin de paix dans l'immensité de celui-ci, il n'y rencontra que le vide. Les étoiles n'avaient plus la même couleur, la même lumière. Elles appartenaient à un autre monde, celui d'avant la guerre, celui de Pauline. Ce monde là avait disparu au rythme des vies qui s'en allaient dans le sang, la solitude, la peur, la boue. Dieu aussi, d'une certaine façon, était mort.
Il maudissait sa représentation ne sachant vers qui diriger sa colère et son impuissance.
Justin se redressa péniblement, une crampe venait de le saisir à la jambe gauche. Il grimaça et oublia pour un instant de compter. La douleur physique remplaça la douleur morale. Il pouvait la contrôler davantage. Deux minutes s'écoulèrent avant qu'il ne ressente, à nouveau, sa tête le marteler.
A côté de lui, un de ses frères d'armes parlait en dormant. Justin n'en comprenait pas le sens. Peu lui importait. En lui, autour de lui, tout n'était
qu'absurdité.
Les propos décousus de son compagnon résonnèrent dans la tranchée : « je pense qu'il pourra demeurer auprès de nous jusqu'au moment où il sera rouillé ».
******
Quatre vingt dix huit, quatre vingt dix neuf, cent...
Affalé dans sa chambre, Vincent comptait sur ses petits doigts. Il poussa un grand « ouf » avant d'esquisser un large sourire. Maman ! papa ! cria t-il du haut de son jeune âge, je sais compter jusqu'à cent ! Il déboula dans les escaliers, ébouriffa
le chien au passage, se jeta contre sa mère pour l'enserrer de ses bras légèrement potelés.
Vincent aimait beaucoup les chiffres. Quelques posters colorés portant des soustractions, additions et divisions, ornaient sa chambre.L' ardoise posée sur le petit bureau montrait quelques traces d'exercices récents.
Paul observa de loin son fils serré contre son épouse. Comme il ressemble à son arrière, arrière grand-père se dit-il ! la même expression dans le regard, le même dessin de la bouche...Une vieille photo s'imprima alors dans sa tête, une photo d'avant-guerre... celle de Justin. La statue au centre du village et la croix blanche du cimetière portaient ces quelques mots : "morts au front". Elles honoraient aussi, pudiquement, son nom.
Il chassa ces images sombres tout en jetant un dernier regard à son fils. Il retourna vaquer à ses occupations dont la principale était le taillage d'une haie.
Il restait fidèle à un vieux sécateur, nul ne savait pourquoi. Une étrange complicité s'était établie entre lui et l'objet. Il en prenait soin comme de la prunelle de ses yeux.
Il murmura ces quelques mots, de peur d'être entendu par le voisin qui coupait un rosier, non loin de là : « je pense qu'il pourra demeurer auprès de nous jusqu'au moment où il sera rouillé ».
⊙⊙⊙⊙⊙⊙⊙⊙
Il leva son regard vers le ciel cherchant un coin de paix dans l'immensité de celui-ci, il n'y rencontra que le vide. Les étoiles n'avaient plus la même couleur, la même lumière. Elles appartenaient à un autre monde, celui d'avant la guerre, celui de Pauline. Ce monde là avait disparu au rythme des vies qui s'en allaient dans le sang, la solitude, la peur, la boue. Dieu aussi, d'une certaine façon, était mort.
Il maudissait sa représentation ne sachant vers qui diriger sa colère et son impuissance.
Justin se redressa péniblement, une crampe venait de le saisir à la jambe gauche. Il grimaça et oublia pour un instant de compter. La douleur physique remplaça la douleur morale. Il pouvait la contrôler davantage. Deux minutes s'écoulèrent avant qu'il ne ressente, à nouveau, sa tête le marteler.
A côté de lui, un de ses frères d'armes parlait en dormant. Justin n'en comprenait pas le sens. Peu lui importait. En lui, autour de lui, tout n'était
qu'absurdité.
Les propos décousus de son compagnon résonnèrent dans la tranchée : « je pense qu'il pourra demeurer auprès de nous jusqu'au moment où il sera rouillé ».
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Quatre vingt dix huit, quatre vingt dix neuf, cent...
Affalé dans sa chambre, Vincent comptait sur ses petits doigts. Il poussa un grand « ouf » avant d'esquisser un large sourire. Maman ! papa ! cria t-il du haut de son jeune âge, je sais compter jusqu'à cent ! Il déboula dans les escaliers, ébouriffa
le chien au passage, se jeta contre sa mère pour l'enserrer de ses bras légèrement potelés.
Vincent aimait beaucoup les chiffres. Quelques posters colorés portant des soustractions, additions et divisions, ornaient sa chambre.L' ardoise posée sur le petit bureau montrait quelques traces d'exercices récents.
Paul observa de loin son fils serré contre son épouse. Comme il ressemble à son arrière, arrière grand-père se dit-il ! la même expression dans le regard, le même dessin de la bouche...Une vieille photo s'imprima alors dans sa tête, une photo d'avant-guerre... celle de Justin. La statue au centre du village et la croix blanche du cimetière portaient ces quelques mots : "morts au front". Elles honoraient aussi, pudiquement, son nom.
Il chassa ces images sombres tout en jetant un dernier regard à son fils. Il retourna vaquer à ses occupations dont la principale était le taillage d'une haie.
Il restait fidèle à un vieux sécateur, nul ne savait pourquoi. Une étrange complicité s'était établie entre lui et l'objet. Il en prenait soin comme de la prunelle de ses yeux.
Il murmura ces quelques mots, de peur d'être entendu par le voisin qui coupait un rosier, non loin de là : « je pense qu'il pourra demeurer auprès de nous jusqu'au moment où il sera rouillé ».
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