SENTIERS VIVANTS - Des routes de l' âme
Je marche.
Rien de spectaculaire : un pas, puis un autre. Pourtant, chaque pas me relie un peu plus à moi-même.
Le chemin s’ouvre devant moi, étroit, souple, vivant. Il traverse une forêt au souffle vert, bruissante du chant clair des rouges-gorges. J’avance sans hâte, comme si mes pas avaient toujours appartenu à ce sentier, comme s’ils s’écrivaient sur une page déjà commencée.
À l’approche de l’océan, le sentier se courbe. Non qu’il baisse l’échine — il n’a rien de servile — mais il épouse avec grâce les contours des criques sauvages, bordées de genêts en fleurs. Le vent y monte en puissance. Il gifle parfois, il caresse souvent. Il me parle.
Puis le paysage change. La forêt s’efface derrière moi, remplacée par une lande vaste, dénudée, piquée de ces ajoncs qui ne se laissent pas apprivoiser. Le chemin se fait rectiligne. Plus sec, plus froid, plus silencieux aussi. J’essaie de garder mon rythme, même quand le vent déchire les nuages, même quand il arrache les baleines de mon parapluie et que les gouttes épaisses viennent s’écraser contre mon visage. Marcher quand même. Prendre l’air, par tous les temps. Ne rien lâcher.
Et parfois, soudainement, le ciel s’ouvre. Le soleil inonde le sol d’une lumière presque irréelle. Le chemin devient lumineux, presque sacré. Le vent se calme. Je respire profondément, à pleins poumons. À cet instant, je me sens vivant, totalement, intensément. Un être parmi les éléments, ni plus ni moins.
Mais tous les chemins n’avancent pas. Certains s’interrompent brusquement, sans prévenir. Une barrière, un vide, une impasse. Il faut accepter. Faire demi-tour. Même si le paysage est sublime, même si l’on en a plein les yeux, plein le cœur. Ce n’est pas une défaite, juste une bifurcation. D’autres voies s’ouvrent ailleurs — sinueuses, denses, ou claires et droites. Il faut choisir.
J’ai toujours préféré les routes vagabondes. Celles qui m’égarent un peu, qui me rappellent mes années d’étude, lorsque je lisais avec ferveur La rêverie du promeneur solitaire. Rousseau m’accompagnait alors, comme une voix intérieure.
Mais il y a des chemins qui fatiguent. Qui s’étirent, sans fin. Les kilomètres deviennent lourds, les repères s’effacent. Je ne les aime pas. Ils me font perdre prise, comme si je n’étais plus tout à fait maître de la direction.
Il y en a d’autres, à nu, battus par les vents, poursuivis par les nuages. Ceux-là m’étourdissent. Certains paysages sont si vastes, si puissants, qu’ils donnent le vertige. Comme si la nature vous rappelait soudain votre propre petitesse.
Notre vie est faite de ces sentiers. Ils se croisent, s’entrecroisent, sous des ciels changeants — parfois bleus, parfois de granit, parfois de plomb.
Et ce grand chemin qu’est la vie… c’est aussi le nôtre, à tracer pas à pas.
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