LE MURMURE DU STEIR
Le vent s’invita, tournoyant doucement autour des réverbères. Marion frissonna, non de froid, mais de cette étrange sensation que le temps, ce soir-là, n’avait plus de repères.
La passerelle vibra sous ses pas. En contrebas, l’eau, bousculée, formait de légères volutes, comme si elle se souvenait des pas de ceux qui, jadis, l’avaient contemplée.
Marion ralentit. Sur la rive opposée, un chat s’était hissé sur une barrière rouillée, impassible malgré la pluie. Leurs regards se croisèrent. Pas un mot. Juste ce lien silencieux entre deux êtres abrités par la même mélancolie.
Un klaxon lointain s’éleva, cassant brièvement l’enchantement. Marion se redressa. Déjà, la pluie se faisait plus fine, comme un rideau qui se lève.
Elle poursuivit sa marche. Quelque part, dans le cœur de la ville, l’attendait peut-être une lumière.
La pluie s’était calmée, mais l’air, lui, demeurait chargé de cette humidité qui fait gonfler les pierres et assourdit les sons. Les toits luisaient d’un éclat terne. Marion observa son reflet, diffracté par une flaque aux bords incertains. Son visage, déformé, semblait appartenir à une autre.
Elle longea le Steïr sans hâte. Les vitrines des maisons anciennes brillaient de reflets ocre. Certaines laissaient deviner des intérieurs encore éclairés — silhouettes floues, rires timides, effluves de repas chauds. Cela la frôla, sans la pénétrer.
Elle bifurqua, gagnant une ruelle étroite que seule la mémoire pouvait lui faire retrouver. Là, le pavé était plus irrégulier, l’odeur plus végétale. Le lierre avait conquis les murs. Marion toucha distraitement une feuille trempée. Un souvenir surgit — une cour d’école, un banc de pierre, une promesse oubliée.
Soudain, une voix. Faible. Hésitante.
— Marion ?
Elle se figea.
La voix ne portait ni menace ni joie, juste la surprise nue d’un passé qui ressurgit sans frapper.
Commentaires