SUR LE SENTIER DES ROSES 🌹🌹🌹🌹
Il existe, dans chaque vie, un sentier que nous ne prenons jamais.
Un chemin dissimulé derrière nos habitudes, nos certitudes, nos peurs.
C’est là, dans cette zone entre le rêve et le réel, que dorment nos véritables visages — ceux que le temps nous cache, ou que nous refusons de regarder.
Ce texte est né d’un de ces moments suspendus, où j’ai pressenti qu’un simple battement de cœur pouvait changer une existence.
Il parle du choix, du réveil de soi, mais aussi de cette beauté fragile qui subsiste, même quand tout semble gris.
Virginie pourrait être moi, ou vous, ou n’importe laquelle d’entre nous — une âme en veille, qu’un signe minuscule remet soudain en mouvement.
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Elle survolait des paysages d’azur et de lumière, des mers apaisées où les reflets du ciel se mêlaient à ceux de son âme.
Tout respirait la sérénité.
Puis, une voix, sourde et insistante, traversa ce rêve :
« … grippe aviaire… transmission… risque de pandémie… »
Les images s’effacèrent comme une encre diluée.
Virginie s’éveilla, brusquement rappelée au réel.
Elle posa un pied, puis l’autre, sur le parquet, grogna contre la pluie qui cognait aux volets, et prit son café brûlant, ses tartines à la confiture, son bain parfumé au monoi .
Le monde, ce matin-là, avait perdu ses couleurs.
Plus tard, elle ouvrit sa boîte aux lettres.
Une enveloppe manuscrite, ivoire, presque élégante, attira son regard.
Elle la déchira sans réfléchir.
« Rendez-vous ce soir, à vingt-trois heures, au Sentier des Roses.
— D… »
Une lettre sans explication, sans signature claire, mais dont l’écriture lui paraissait étrangement familière.
Virginie hésita, puis sourit : elle aimait le mystère.
La nuit étendit son manteau sur la ville.
Elle s’habilla simplement — jean, pull bleu — et prit la route.
Dans la voiture, la voix d’une diva italienne emplissait l’air, pure, vibrante, presque irréelle.
Les notes semblaient ouvrir une brèche entre le monde et l’invisible.
Le Sentier des Roses s’étirait au bord d’une rivière, entre les maisons anciennes et les saules.
Tout y semblait suspendu : ni vent, ni bruit, ni vie.
Seule la lune filtrait à travers les nuages, dessinant des éclats métalliques sur les pavés humides.
Virginie s’avança.
Son ombre glissait sur l’eau, se déformant à chaque pas.
Au bout du sentier, une silhouette l’attendait.
Elle crut d’abord à une illusion.
Mais plus elle approchait, plus cette forme lui semblait familière : même démarche, même allure.
Lorsqu’elle distingua le visage, le monde vacilla.
C’était elle.
Elle, dans trente ans — ridée, pâle, fatiguée.
Ses propres yeux verts la regardaient avec une pointe de tristesse.
Un cri monta, déchira le silence, fit trembler l'astre lunaire.
Puis tout devint noir.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la pluie avait cessé.
À côté d’elle, sur le sol, une rose rouge reposait.
Entre ses pétales, un petit carton humide :
« Je suis celle que tu deviendras si tu continues à oublier tes rêves. »
Virginie resta longtemps immobile.
Puis elle se releva, le cœur battant autrement — non plus de peur, mais d’évidence.
Le lendemain, elle démissionna, ferma son appartement, et prit le premier train vers le sud.
On dit qu’elle s’est installée dans un village près de la mer, où elle peint et écrit des histoires que le vent emporte.
Certains affirment qu’à la tombée de la nuit, elle revient parfois sur le Sentier des Roses,
dépose une fleur écarlate au bord de la rivière,
et murmure :
« Merci de m’avoir réveillée. »
Derrière un arbre, invisible, le démon sourit.
Son œuvre est accomplie :
il n’a pas volé d’âme,
il en a simplement rendu une à elle-même.
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